AFRIKLIVRE Le Rebelle Et Le Camarade Président

Extrait

Lasso se sentit projeté en arrière. Il heurta le mur derrière lui et tomba sur le sol sale du maquis. Il porta la main à sa poitrine et sentit le sang couler entre ses doigts. Il vit, en tombant, la stupeur sur les visages autour de lui, puis il entendit les coups de feu, les cris et les pas des hommes qui couraient dans tous les sens. Il gardait les yeux ouverts, mais ne faisait plus aucun geste. Il ne voyait plus que des pieds chaussés de rangers et de baskets qui allaient et venaient et il respirait une odeur nauséabonde, un mélange de pisse, de bière et de cendres.

Lasso voyait le corps d'une autre personne qui était tombée aussi, mais il ne voyait que son dos. La personne ne bougeait plus, et Lasso se dit qu'elle était peut-être morte. Il se dit qu'il allait lui aussi mourir. Lasso ne voulait pas mourir. Il chercha à prendre son pistolet. Mais il se rendit compte qu'il ne pouvait plus bouger le bras. Puis il commença à sentir la douleur. Il la sentit d'abord dans le bras, puis elle remonta jusqu'à sa poitrine. Il avait de plus en plus mal. Il dut serrer les dents pour ne pas hurler. Il retira péniblement la main de sa poitrine et la regarda. Elle poissait de sang. Lasso eut peur en voyant le sang. Mais il ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Il ne comprenait pas comment Karim avait osé lui tirer dessus, lui Lasso, le chef de zone.

Lasso avait été appelé pour calmer Karim qui menaçait de son arme les clients du maquis. II les avait obligés à se coucher à ses pieds, et à ramper sur le sol sale. Lasso était venu et avait constaté que Karim était ivre. Il avait tenté de le raisonner mais ce n'était pas possible. Alors, Lasso avait sorti son arme pour le menacer. Juste pour le menacer, car il aimait bien Karim. C'était un bon combattant qui n'avait peur de rien. Une vraie tête brûlée. Son défaut était qu'il était intenable lorsqu'il avait bu. Mais à peine Lasso avait-il dit à Karim qu'il le mettait aux arrêts que celui-ci avait aussitôt ouvert le feu sur lui. Lasso n'avait pas remarqué l'arme que Karim dissimulait sous la table. Et Lasso était couché là, se disant qu'il était peut-être en train de mourir. Il ne voulait pas mourir. Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi il devrait mourir. Parce que cela n'était pas prévu. La balle de Karim n'aurait pas dû l'atteindre. Elle n'aurait pas dû entrer dans son corps.

Revue de presse

Farce féroce sur la course au pouvoir en Côte-d'Ivoire. Tantôt l'Afrique le désespère, tantôt elle le réjouit, mais jamais elle ne l'indiffère. En exil en France durant la crise dite postélectorale qui a secoué son pays, la Côte-d'Ivoire, en 2011, Venance Konan n'avait qu'une envie : retourner au plus vite chez lui. Cet indéfectible attachement mâtiné de colère, on le ressent à chaque page de son roman, qui s'apparente à une farce à la fois tragique et absurde...

Venance Konan recourt avec truculence et mordant à l'arme de la fiction pour raconter les dix dernières années qui ont vu l'arrivée mouvementée de Laurent Gbagbo au pouvoir, le coup d'Etat qui l'a visé et la partition du pays qui s'ensuivit. La matière première est, il est vrai, d'une grande densité. C'est celle d'hommes et de femmes qui luttent à mort pour le contrôle du pouvoir. Dans son livre, tout le monde en prend pour son grade. (Thomas Hofnung - Libération du 7 juin 2012 )

Biographie de l'auteur

Venance Konan est journaliste et écrivain. Ivoirien, il est le rédacteur en chef de Fraternité Matin (Abidjan), un des trois grands quotidiens d'Afrique Occidentale. Différents journaux français (Libération, Charlie Hebdo) lui demandent régulièrement des chroniques. Son premier roman, Les catapilas, ces ingrats publié en 2009 avait retenu l'attention de la critique.